Dr Armand Frappier
L’homme

Sa naissance
Armand Frappier naît à Salaberry-de-Valleyfield au Québec, le 26 novembre 1904. Il est l’aîné d’une famille de huit enfants. Ses parents sont Arthur Alexis Frappier et Bernadette Codebecq.
Arthur Frappier est professeur et directeur d’écoles à Salaberry-de-Valleyfield pendant vingt ans. Artiste talentueux, il est aussi organiste à la cathédrale, directeur de la fanfare locale et professeur de musique. Bernadette Codebecq, sa mère, vient également d’une famille d’enseignants. Son père a même fondé une école modèle, et elle a fait la classe, comme ses quatre sœurs.
Ses études
À six ans, Armand entre à l’école chez les sœurs de la Providence. Son père l’oblige à redoubler sa quatrième année, car il juge alors ses notes insuffisantes. Armand fait ensuite son cours classique au Séminaire de Valleyfield et termine parmi les premiers de sa classe.
Anecdote : Jusqu’à la versification du cours classique (l’équivalent de la quatrième secondaire), il est, reconnaîtra-t-il un jour, « un élève indiscipliné ». Armand et son ami Maximilien Caron mènent la troupe des élèves turbulents. Un jour, un professeur les réprimande et leur dit ce qu’il pense d’eux. À Maximilien : « Vous, vous n’êtes qu’une grosse tonne d’orgueil »; et à Armand : « Vous, vous n’êtes pas vous-même, mais un mouton à la remorque des indisciplinés ». La leçon sera salutaire : les deux compères feront de brillantes carrières, le premier en droit, le second en médecine. C’est à ce moment que le jeune Armand adopte la devise Vox non echo qui veut dire « Tu seras la voix et non pas l’écho ».
Un choix de carrière marqué par la douleur
Au collège, dès ses premiers cours d’initiation à la chimie, Armand Frappier se découvre une passion pour cette science. Il aménage même un laboratoire dans l’étable à l’arrière de la maison, où il peut à loisir faire des expériences. Il pense avoir trouvé sa voie. Malheureusement, une ombre plane sur la vie et la famille d’Armand Frappier : la tuberculose. Faute d’un vaccin pour prévenir la maladie et de traitements pour la guérir, Armand Frappier voit mourir sa mère, en mai 1923, emportée par cette maladie à l’âge de 40 ans. Il n’a alors que 19 ans. En plus, durant cette période, d’autres membres de sa parenté dont il est proche meurent. Il qualifie ces décès de « période noire d’épreuves ». Armand Frappier ne sera pas chimiste, mais médecin.






Ses études en médecine à l’Université de Montréal
En 1924, après avoir terminé ses études au Collège de Valleyfield et obtenu un baccalauréat ès arts, il s’inscrit à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. À partir de ce moment et toute sa vie durant, il poursuivra son combat contre cette « tueuse de maman », la tuberculose.
En juin 1930, après cinq années d’études et de labeur, il obtient enfin son diplôme de médecin. Mais il lui reste encore un long chemin à parcourir avant de réaliser son rêve : faire de la recherche. Pour acquérir une meilleure connaissance des sciences de base, il s’inscrit immédiatement, pour un an, à des certificats en chimie biologique, en chimie physique et en mathématiques.
Une rencontre qui oriente sa carrière en 1931
« Un jour que je conversais avec le professeur de physiologie, le Dr Élie Asselin, il me dit : “Si vous voulez trouver une solution à la tuberculose, ce n’est pas avec la chimie que vous y arriverez, c’est avec la microbiologie.” Deux jours plus tard, j’allai remettre mon destin entre les mains du doyen de médecine, le Dr Télesphore Parizeau, qui me reçut à bras ouverts. Il m’aida à obtenir une bourse de la fondation Rockefeller pour aller étudier aux États-Unis. »
Le Dr Télesphore Parizeau était lui-même un ancien élève de l’Institut Pasteur de Paris.
Le Québec des années 30 ne peut offrir une formation approfondie à ses diplômés. Le jeune Dr Frappier ira donc chercher ailleurs – là où le développement de la science commence à s’accélérer – toutes les connaissances dont il a besoin pour s’attaquer à la tuberculose.
Ses études à l’Université de Rochester
Au début des années 30, une bourse de la fondation Rockefeller lui ouvre les portes des laboratoires américains. C’est à l’Université de Rochester (NY), établissement financé par Kodak, riche et bien équipé, qu’Armand Frappier se rend pour étudier la microbiologie. Par rapport à l’Université de Montréal, qui est alors pauvre, vétuste et peu développée sur le plan de la recherche, le contraste est énorme. Mais Armand Frappier ne se décourage pas : au contraire, il se dit qu’il aura un stimulant défi à relever pour améliorer les choses, à son retour chez lui! Pendant cette période d’apprentissage aux États-Unis, il séjourne dans les laboratoires de microbiologie de plusieurs chercheurs renommés, parmi lesquels plusieurs s’opposent vivement au vaccin BCG.
Son voyage à l’Institut Pasteur
Le BCG, mis au point à l’Institut Pasteur de Paris, est le premier vaccin vivant atténué auquel on a recours. Les Américains, le Dr Petroff en tête, sont peu favorables à son usage généralisé. Ils craignent qu’avec le temps, le bacille ne retrouve sa virulence (son pouvoir de provoquer la maladie). Même après des décennies d’utilisation sans aucun problème, la crainte du BCG persistera aux États-Unis.
Le Dr Petroff, fortement en désaccord avec l’emploi du BCG, mourra lui-même de la tuberculose. Le Dr Frappier fait un stage dans son laboratoire en 1932.
Lorsque le Dr Frappier arrive à l’Institut Pasteur, le BCG est employé depuis huit ans avec succès. Les expériences menées par le Dr Nègre, après celles de Calmette et de Guérin, prouvent que le vaccin est efficace et inoffensif, et que la grande peur des Américains de voir réapparaître la virulence est sans fondement. Le voici rendu aux sources mêmes de la microbiologie et de la lutte contre la tuberculose. C’est là toute une expérience pour le Dr Frappier, car c’est à cette époque qu’il apprend à produire le vaccin BCG. Convaincu d’avoir enfin une arme efficace contre la tuberculose, le Dr Frappier revient au pays avec un très précieux bagage : un flacon contenant la souche du fameux BCG!
« Après une traversée au cours de laquelle le transatlantique Carinthia avait essuyé une tempête telle que l’eau entrait par les fenêtres du salon, nous sommes arrivés à Montréal le 1er janvier 1933. »
« Au cours de ces études à l’étranger, je m’étais non seulement ouvert l’esprit, mais familiarisé avec les problèmes de la méthode expérimentale. Je m’étais fait des amis de mes maîtres, et ils m’avaient assuré de leur aide. J’ai suivi leurs conseils et je les ai fréquentés jusqu’à leur mort. Je rapportais avec moi une souche de BCG de l’Institut Pasteur ».

Ses études postuniversitaires
Il poursuit ses études postmédicales en suivant des cours de mathématiques avancées, de biologie et de chimie biologique. Il obtient, au début de 1933, sa licence ès sciences de l’Université de Montréal, composée de trois certificats d’études.
En 1933, le Dr Frappier est le premier chercheur sollicité par le Conseil national de recherches du Canada, à titre de premier chercheur nord-américain, pour confirmer la qualité et l’efficacité du vaccin BCG, et élaborer un procédé de fabrication sécuritaire. L’Institut Pasteur confie alors au Dr Frappier une souche du BCG, qu’il apporte au Canada afin de fabriquer un vaccin vivant, mais atténué. Le Dr Frappier est le défenseur de l’application rationnelle de la vaccination antituberculeuse par le BCG au Canada.
Sa famille
Les économies s’écroulent. Le monde est plongé dans la crise. Les démocraties tremblent. Les perspectives sont très sombres. Armand Frappier ne se laisse pourtant pas abattre. Déjà habitué à pourvoir à ses besoins, l’étudiant accepte les responsabilités familiales que le destin lui a imposées à la mort de son père. On ne vivra pas riche, mais on s’en sortira.



Son mariage
Le 29 juin 1929, il épouse Thérèse Ostiguy, fille de Noël Ostiguy, marchand de fourrures de Salaberry-de-Valleyfield et deuxième d’une famille de dix enfants. Le voyage de noces se fera sur le Richelieu, un bateau à bord duquel les Carabins, le groupe de musiciens dont il fait partie, donnent des spectacles.
Autre responsabilité familiale
Quelques mois après le mariage d’Armand Frappier, son père, âgé de 58 ans, meurt soudainement. Il laisse quatre enfants en bas âge. À 25 ans, jeune marié et encore étudiant, Armand devient soutien de famille.

Ses enfants
En mai 1930, un mois avant l’obtention de son diplôme en médecine de l’Université de Montréal, il devient père d’une fille qui s’appellera Lise. Armand Frappier doit lui-même aider à mettre au monde cette enfant, car le médecin arrive trop tard. Trois autres enfants suivront : Monique, Michèle et Paul.
Lise fera des études médicales à l’Université de Montréal et une maîtrise en santé publique à l’Université Harvard aux États-Unis. Elle deviendra épidémiologiste, enseignera à l’Université McGill et à l’École d’hygiène de l’Université de Montréal, et travaillera plus de 30 ans à l’Institut Armand-Frappier. Lise Frappier épousera le Dr André Davignon, professeur à l’Université de Montréal et cardiologue renommé à l’Hôpital Sainte-Justine. Madame Frappier-Davignon décédera en mai 1999.
Monique fera des études à la Faculté des sciences sociales à l’Université de Montréal et obtiendra une maîtrise en sciences économiques. Elle épousera Gilles Desrochers, avec qui elle adoptera deux enfants. Elle poursuivra une première année de doctorat en économie à Cambridge en Angleterre, suivie de deux années à McGill. Elle occupera, entre autres, le poste de directrice de recherche en économie dans un ministère provincial du Québec. Madame Frappier décédera en avril 2017.
Michèle obtiendra un baccalauréat ès sciences en diététique et en nutrition à l’Université de Montréal. Elle travaillera plus particulièrement dans le domaine des produits laitiers au Québec, puis des pêcheries à Ottawa. Elle contribuera, pour le compte du gouvernement fédéral, à la consommation et à la commercialisation des produits canadiens de la pêche au Canada, aux États-Unis, en Europe et en Asie avant de prendre à son compte des contrats avec les plus grands organismes gouvernementaux et industriels. Elle épousera Jacques Daignault, homme actif dans le domaine de la finance internationale. Deux enfants naîtront de cette union.
Après ses études collégiales, Paul poursuivra ses études comme évaluateur agréé et deviendra un homme d’affaires en évaluation de bâtiments. Paul Frappier et son épouse Diane Berthelet, également du monde des affaires, auront deux enfants. Paul décédera en 2005.
Ses loisirs
La musique
Très tôt, Armand Frappier apprend à mener plusieurs activités de front : école et musique, mais aussi amitiés et loisirs. Son père l’initie, avec son frère Irénée, au violon, au violoncelle et à la clarinette. À peine âgé de 7 ans, il se produit sur scène dans les salles paroissiales et les réunions sociales de la région avec son père et son frère formant ainsi le « Trio Frappier ». Jouant d’abord pour le plaisir, Armand Frappier fera de son violon son gagne-pain d’étudiant.
En 1924, même s’il n’a pas d’argent, Armand Frappier s’inscrit à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Son père lui avait dit : « J’ai gagné mes études avec la musique, tu feras de même ». Après avoir cherché, sans succès, un poste de professeur de musique, Armand fonde son propre orchestre : les Carabins joueront dans les restaurants, les fêtes, les réceptions et, l’été, sur les bateaux de la Canadian Steamship Line.
La musique ne lui fait pas oublier sa passion pour la chimie. Il s’engage comme préparateur au laboratoire de chimie de l’Université de Montréal et sera de plus responsable des laboratoires de chimie des hôpitaux Saint-Luc et de la Miséricorde.





La chasse et la pêche
Dans ses loisirs, le Dr Frappier chasse et pêche partout au Québec, avec de bons amis.
Le jardinage
Il cultive des prunes et des cerises dans son jardin et fait des confitures pour sa famille. Il lit beaucoup, joue du violon, écoute de la musique et se détend en famille à sa résidence d’été surnommée la Pointe.
À l’agenda de l’étudiant Frappier, une journée parmi d’autres…
- 8 h 00 – Laboratoire de l’hôpital Saint-Luc
- 8 h 30 – Cours à l’université
- 12 h 15 – Musique au restaurant de Dupuis et Frères
- 13 h 30 – Cours à l’université
- 17 h 00 – Laboratoire de l’hôpital de la Miséricorde
- 18 h 30 – Musique chez Kerhulu et Odiau
- 1 h 00 – Retour à la maison
Mais où donc l’étudiant étudie-t-il? Derrière le piano, pendant les pauses.

Son décès
Le Dr Frappier maintient une vie de famille intense autant auprès de son épouse, de ses enfants que de ses autres relations familiales et amicales. Après plus de 60 ans de mariage, le Dr et madame Frappier ont plaisir à réunir leurs enfants et leurs conjoints, leurs dix petits-enfants et leurs 12 arrière-petits-enfants.
À la fin de sa vie, il se consacre à la rédaction de son autobiographie, Un rêve, une lutte, toujours dans son bureau de l’institut de recherche qui porte maintenant son nom. Le soir où il termine sa rédaction, il visite chacun des laboratoires, rencontrant chercheurs, employés et étudiants. Le Dr Frappier leur confie alors : « Pour la première fois de ma vie, je n’ai plus de projet sur ma table de travail ». Il décède dans les jours suivants à Montréal à l’âge de 87 ans, le 18 décembre 1991.